Résumé conférence sur le Rêve-Éveillé

Temps de lecture: 13 minutes

Première Conférence sur le Rêve-Éveillé, une méthode française de psychothérapie dans le cadre d’un programme psychothérapeutique chez l’enfant et l’adolescent

École de psychiatrie de Washington

Par Tom Holman

(Traduction Carmen Lesourd. Relecture et corrections Michèle Taillandier et Marie Lesourd)

Ce soir nous étudions le Rêve-Éveillé, une méthode française de psychothérapie et psychanalyse, que nous illustrerons par le travail de Nicole Fabre, la grande spécialiste de cette méthode. Alors que le Rêve-Éveillé est aussi bien employé chez l’enfant, que chez l’adolescent ou l’adulte, nous étudierons tout particulièrement sa pratique en psychanalyse et psychothérapie de l’enfant.

Ce cours repose sur la lecture de trois chapitres d’une œuvre de Nicole Fabre (Le travail de l’imaginaire en psychothérapie de l’enfant, Nicole Fabre, Paris, Dunod, 1998, NDT), que j’ai traduite du français. J’ai traduit le titre du livre par «You can Dream While You’re Wide Awake. Child psychotherapy and the Realm of the Imaginary». Pendant la traduction de ce texte et pendant mes recherches sur le Rêve-Éveillé, j’ai eu le privilège d’aborder ces thèmes avec Nicole Fabre et ses collègues de l’association «GIREP», Groupe International du Rêve Éveillé en Psychanalyse. Le Girep est une association très active: elle publie une revue semestrielle, dirige un programme de formation, encadre des cours et des séminaires, et orga-nise une journée d’études tous les deux ans. Le Girep a également créé un site internet très complet (https://www.le-reve-eveille-en-psychanalyse.com/). Dans la mesure où la littérature sur le Rêve-Éveillé est principalement française, cette méthode est pratiquement inconnue aux Etats Unis.

Nicole Fabre a une très belle écriture en français, et si vous constatez des fautes ou des maladresses lors de cette lecture, elles m’incombent entièrement.

Avant d’aborder le matériel spécifique à la psychothérapie chez l’enfant, j’aimerais résumer brièvement ce qu’est le Rêve-Éveillé. Certains concepts du Rêve-Éveillé ne sont pas connus des thérapeutes américains, ni spécifiques à leurs méthodes. Cette méthode est très française, ainsi qu’européenne, dans sa conception et l’importance qu’elle accorde à la vie intérieure. Nous, les américains, avons tendance à privilégier la réalité extérieure. Aujourd’hui, nous valorisons les psychothérapies fondées sur l’empirique, ainsi que les techniques cognitives et comportementales qui permettent d’influer sur la pensée et les émotions. Ces techniques sont très différentes du Rêve-Éveillé. Même dans le cadre de la thérapie par le jeu, nous proposons des livres et des ateliers sur des sujets tels que «trouver les outils pour votre boîte à outils», au lieu de valoriser des images et des concepts caractéristiques de la vie intérieure de l’enfant. Le Rêve-Éveillé représente donc un vrai défi par rapport à beaucoup de nos conceptions américaines courantes de la psychothérapie.

Vous constaterez également que le Rêve-Éveillé est compatible avec beaucoup de théories psychodynamiques en psychothérapie de l’enfant, et particulièrement celles de Donald Winnicott.

Initialement, le Rêve-Éveillé a été développé en France par Robert Desoille dans les années 1920. Desoille a été influencé non seulement par le Surréalisme dans le domaine des arts, mais aussi par le concept de l’Imaginaire, un concept très important dans la culture française. Il n’est pas aisé de traduire en anglais le mot français imaginaire. Ce terme est souvent traduit en anglais par «the imaginary», mais le mot anglais «imaginary» ne correspond pas tout à fait. L’imaginaire évoque notre capacité à faire preuve de véritable imagination créative ou de fantaisie. L’imaginaire n’est pas du tout comme la rêverie ou le rêve, mais plutôt une aptitude humaine plus profonde,qui canalise la pensée inconsciente.

Le premier chapitre de l’œuvre de Nicole Fabre présente l’imaginaire comme il est illustré dans la littérature et la philosophie françaises et européennes. Un des principes les plus importants de cette méthode est décrit par Gaston Bachelard : notre principale faculté imaginative est notre aptitude à transformer les images fournies par la perception. Ceci inclut l’idée de se libérer de notre perception de la réalité. Nicole Fabrer approche cette liberté, ce détachement des règles et de la réalité, de la théorie du jeu de Winnicott qui oppose le jeu pur au jeu avec des règles. Ceci ne signifie pas que l’on ne doit pas développer sa capacité à percevoir le monde tel qu’il est, mais que l’on doit apprendre à se détacher de la réalité, dans un but thérapeutique. En 2005, le psychologue canadien Christian Thiboutot, élève de Gaston Bachelard à l’Université de Montréal, propose une traduction anglaise de l’imaginaire comme suit :

«Le qualificatif «imaginary» doit être pensé comme un nom : «l’Imaginaire». La traduction correcte en anglais serait «imaginary world», «imaginative realm», «imaginary order» ou encore «the concept of the imaginary. »

L’Imaginaire est un concept qui inclut l’espace. Les psychothérapeutes Rêve-Éveillé parlent de mouvement dans l’Imaginaire. Aux États-Unis, nous avons une propension à valoriser le mouvement (et qu’il soit le plus rapide possible)au sol et dans l’air. Mais le mouvement au sein de l’espace imaginaire est difficilement concevable pour nous. Nous serions plus enclins à comprendre ce concept à travers un exercice comme : « Fermez les yeux et imaginez-vous en train de flotter dans une grande pièce vide. Maintenant, introduisez des choses dans la pièce, ce que vous voulez, et où vous voulez. Ensuite, dirigez-vous vers chaque chose dans la pièce et examinez la : à quoi ressemble-t-elle, quel bruit fait-elle, quel goût a-t-elle, que vous fait-elle ressentir, etc.. » Le Rêve-Éveillé facilite l’exploration de l’espace imaginaire par le patient. D’autre part, il favorise le développement de cet espace : où mènent ces images, et que suggèrent-elles ?

A l’origine, le Rêve-Éveillé, tel qu’établi par Robert Desoille, reposait essentiellement sur une imagerie guidée et orientée par le psychothérapeute, qui avait recours à des images symboliques tirées de l’histoire, de la mythologie et de la littérature. Après s’être imprégnée de la méthode du Rêve-Éveillé de Desoille, Nicole Fabre l’a développée en une méthode psychanalytique non directive, dans laquelle le patient découvre son propre monde imaginaire, dont le développement et l’interprétation sont facilités par le thérapeute. Elle a également été la première à pratiquer la méthode du Rêve-Éveillé chez l’enfant. Elle a formé beaucoup de psycho-thérapeutes, et a publié un grand nombre d’ouvrages sur la psychothérapie, l’éducation parentale, et bien d’autres sujets.

Les psychothérapeutes Rêve-Éveillé reconnaissent et utilisent le fait que cette méthode met au travail l’imaginaire du patient comme celui du thérapeute. Ce concept est similaire à celui d’intersubjectivité en psychanalyse relationnelle.

Maintenant que nous entrons dans le livre de Nicole Fabre sur la psychothérapie chez l’enfant, j’aimerais attirer votre attention sur sa dédicace aux enfants:« Je ne sais plus s’ils m’ont prise par la main, ou si c’est moi qui ai pris la leur. »Ces mots témoignent de l’immense respect qu’elle a pour les enfants et pour leurs modes de communication, verbale ou non verbale. Ce respect mutuel est une des bases de la psychothérapie par le Rêve-Éveillé.

Dans l’introduction de son livre, elle indique que le Rêve-Éveillé n’est pas une simple technique thérapeutique, mais que le psychothérapeute lui-même doit faire appel à son propre imaginaire, à sa propre histoire, personnelle et familiale, et à son monde intérieur. L’absence de jargon théorique, et l’écriture éloquente et passionnée sont réconfortants. Son style rédactionnel invite à observer la profondeur et la beauté des modes de communication et des expériences personnelles de tout un chacun. Elle nous fait part de la découverte de son propre imaginaire et de son importance dans sa propre vie, et souligne le fait que la réalité intérieure de l’imaginaire n’est pas moins réelle, ni moins puissante que le comportement et les événements de la vie «extérieure».

Dans le premier chapitre, Nicole Fabre étudie la signification de l’imaginaire. Elle s’appuie sur des sources métaphoriques et littéraires tout autant que sur la philosophie. Aux États Unis, le domaine de la psychothérapie se doit toujours d’être quelque peu «scientifique» et «empirique». Nous sommes également un peu obsédés par les techniques. La manière de Nicole Fabre de présenter l’imaginaire nous rappelle que la psychothérapie devrait se fonder sur les Humanités aussi bien que sur la Science.

Dans un autre ouvrage, Nicole Fabre (1998) a décrit l’expérience qu’elle fit du pouvoir de l’imagination, lors d’une situation stressante durant la seconde guerre mondiale. Jeune adulte, elle s’était portée volontaire pour travailler dans un camp dans les montagnes françaises où les enfants étaient cachés des nazis. Ces enfants étaient séparés de leurs familles, et ils avaient peur de tout. Grâce à des récits faisant appel à l’intuition des enfants, et à l’aide d’images, Nicole Fabre a découvert que l’imaginaire pouvait aider des personnes, en tant qu’individu ou en tant que groupe, à préserver leur stabilité psychologique. Ces histoires imaginaires n’étaient pas seulement une échappatoire, un exutoire ou un déni. L’imaginaire permettait une réelle transformation, il améliorait le développement émotionnel et la résilience, et renforçait la personnalité.

Je souhaite que nous nous concentrions sur le Chapitre 10, qui relate l’histoire de Joël, car je sais que beaucoup d’entre vous travaillent avec des enfants très perturbés aux niveaux comportemental et émotionnel. Parfois nous sommes tentés de dire que des enfants comme ceux-là ne sont pas «de bons candidats à la psychothérapie». La psychothérapie de Joël montre l’adaptabilité du Rêve-Éveillé à une situation, dans laquelle une psychothérapie purement non directive n’aurait pas pu lui apporter un environnement suffisamment contenant, lui permettant de se sentir protégé de ses peurs chaotiques et de ses impulsions. De plus, ce chapitre montre que le Rêve-Éveillé favorise le développement d’un enfant qui souffre de troubles neuro-développementaux.

Nicole Fabre n’identifie pas précisément le trouble développemental de Joël, mais elle affirme que ce trouble a été contracté in utero. Elle décrit ce trouble comme étant prépsychotique. Elle décrit des facteurs pathologiques, qui n’étaient pas seulement dus au trouble lui-même, mais aussi au climat familial qui s’était installé suite au trouble. Souvent, lorsque nous travaillons avec des enfants qui souffrent de troubles neuro-développementaux, nous comprenons qu’il n’est pas possible de traiter le trouble d’origine (p.ex. l’autisme, ou la paralysie cérébrale), mais que nous pouvons traiter les troubles émotionnels et comportementaux. Ces derniers sont généralement secondaires au trouble développemental, mais menacent parfois davantage l’enfant et la famille que le trouble d’origine.

En préambule, Nicole Fabre fait état de trois aspects déterminants de la psychothérapie. Dans un premier temps, à travers sa présence et ses gestes plus que par ses mots, elle établit les limites de la thérapie. Dans un deuxième temps, elle fonde la thérapie sur une relation dans laquelle l’enfant pourra se sentir accueilli, écouté et soutenu. Dans un troisième temps, elle lui propose d’utiliser des marionnettes et des jouets afin que ses émotions et ses idées s’expriment de façon plus créative qu’impulsive et chaotique. Au début, Joël n’est à l’évidence pas vraiment enchanté à l’idée de réprimer son comportement impulsif et orienté vers l’action. Peu à peu, avec l’aide de Nicole Fabre, il apprend à s’exprimer d’une façon plus complexe et nuancée. Il réussit de plus en plus à maîtriser ses impulsions, à les canaliser à travers des jeux créatifs, et à les différer. Puis vient le moment où Nicole Fabre souhaite que Joël passe à l’étape suivante : qu’il s’appuie sur l’imaginaire et sur ses aptitudes verbales, et qu’il commence à abandonner les supports concrets que sont les jouets. L’objectif final est qu’il soit capable d’explorer son propre espace imaginaire, et non plus simplement les jouets réels, dans l’espace du bureau.

Par des mots, des actes et une relation toujours plus solide, Nicole Fabre souhaite communiquer à Joël que les marionnettes et les jouets sont un vecteur de l’imaginaire. Elle écrit : «A tout cela peut s’attacher le rêve. Pour l’instant, nous n’en étions pas là. Simplement, à cet enfant pour qui jusqu’alors seul avait été possible l’expression directe de ses pulsions et de ses angoisses, expression lancée à tout vent plutôt qu’adressée à une personne précise, je proposais de différer, de déplacer, de transférer, de verbaliser et de me communiquer tout cela que j’avais par avance déclaré avoir sens.»

Il s’agit là d’une idée profonde dont j’aimerais discuter avec vous, et j’espère que vous partagerez vos propres idées et associations de pensées. Les Rêves-Éveillés peuvent s’associer à des jouets, des marionnettes, des dessins, des jeux, etc.. Le concept de Nicole Fabre est radicalement différent de l’idée traditionnelle que les jouets et les jeux ont des significations symboliques précises, et que ces significations symboliques sont révélatrices des sentiments inconscients de l’enfant, et nous permettent de donner des interprétations thérapeutiques. Les rêves sont plus riches que de simples associations de symboles et en même temps, ils sont plus malléables. Quel lien y-a-t-il entre les rêves? Dans le cas de Joël, il doit grandir et se développer, jusqu’au moment où il pourra accéder à ses rêves.

Selon Nicole Fabre, le traitement repose sur l’idée d’aider Joël à grimper sur l’échelle du développement par étapes, et ses techniques de traitement dépendront du stade qu’il aura atteint. Par exemple, elle sait qu’elle n’aura pas recours à l’interprétation au début, bien que l’interprétation soit essentielle dès lors que Joël aura atteint un stade de développement où il pourra l’utiliser. Les objectifs de différenciation, déplacement, transfert, verbalisation et communication sont tous des objectifs développementaux que nous étudierons dans notre programme pendant ces deux années.

Généralement, les premières interventions de Nicole Fabre avec Joël ont pour objectif de retarder le passage à l’acte, et de déplacer ses impulsions vers les objets, dans un processus qui devienne de moins en moins réel, de moins en moins «agi». Elle décrit son comportement agressif, peu nuancé, impulsif, comme étant un comportement vorace, et elle répond en lui proposant la marionnette d’un loup, et les mots: «Ce loup avait très faim. » Joël se demande si elle a peur, et nous pouvons ainsi imaginer les schémas répétitifs dans sa vie au cours desquels il est clair que son agressivité effraie des gens, qui finissent par le punir. Cependant Nicole Fabre prend à nouveau l’initiative de transformer le comportement de Joël, en racontant une histoire dans une forme de communication susceptible de relier ses pulsions et ses sentiments à des significations, qui puissent être exprimées au sein d’une relation. Le niveau de développement de Joël est toujours relativement bas, et sa tentative de faire semblant de jouer est écrasée par de violentes impulsions: après que la marionnette loup ait mangé l’autre marionnette, Joël mord alors «en vrai» la marionnette.

Vous est-il également déjà arrivé de travailler avec des enfants agressifs, impulsifs ? Avez-vous eu peur que l’enfant soit agressif avec vous ? Vous êtes-vous demandé comment répondre d’une manière thérapeutique tout en maintenant un climat de sécurité qui est aussi un des fondements de la psychothérapie? Au lieu de rappeler les règles et les limites à Joël, au lieu de le menacer d’interrompre la séance s’il ne se contrôlait pas, Nicole Fabre est parvenue à rediriger son attention vers les marionnettes, en utilisant ses propres mots pour nommer ce qu’il ressentait. Si elle avait rappelé des règles et posé des limites, le cadre et l’interaction thérapeutiques auraient été interrompus. En même temps, nous sommes conscients qu’une agression violente peut également interrompre le cadre thérapeutique. Notre travail avec les enfants difficiles met nécessairement en tension ces deux principes fondamentaux du cadre thérapeutique. Je me rappelle très bien cet enfant qui m’a fait saigner du nez, et le temps qu’il a fallu après cet incident pour rétablir le cadre thérapeutique. Je me rappelle aussi lorsque ma propre anxiété m’a contraint à établir des limites trop rapidement, ce qui a également fait entrave à la psychothérapie. Avez-vous déjà rencontré ce type de situation?

A ce stade de sa thérapie, Joël a accepté le déplacement de ses sentiments et de ses impulsions sur des marionnettes. Toutefois, il n’a pas la capacité de les utiliser dans ses récits, dans ses histoires, ce qui aurait fait naître des Rêves-Éveillés. Dans un procédé que nous appellerons «co-construction», elle propose à Joël des segments d’histoire afin qu’il puisse apprendre à y participer. Joël termine la phrase de Nicole Fabre au sujet du loup affamé. «Pendant des mois, les séances se poursuivent de façon sensiblement similaire avec toujours le double thème «faire peur» et «avoir toujours faim». Avec toujours mes essais de mise en mots, et d’incitation à la mise en mots.», affirme-t-elle. Pendant cette période, elle écrit: «La parole prenait progressivement la place des cris, ou s’y juxtaposait.»

Joël a pu accéder au stade de développement suivant, lors des séances où son comportement plus calme permettait à Nicole Fabre de prendre à nouveau des notes. Les questions que posait Joël au sujet des notes que Nicole Fabre prenait en séance apportaient des réponses déterminantes dans l’avancée du processus thérapeutique. Il commençait à s’intéresser aux histoires qu’elle écrivait, des histoires qui donnaient à Joël une nouvelle perspective de lui-même, et une nouvelle capacité à construire des images à partir de son propre jeu. Il s’allongeait sur le sol pour écouter. Elle écrit : «Par ma parole, je restituais à Joël une histoire qui avait un fil conducteur, un sens, une mémoire. Ce faisant, je faisais passer son histoire dans le monde de la fable […].»explique-t-elle. «Il rêvait sa propre fable originaire.» Puis vient une importante révélation, lorsque Joel dit «Alors j’ai écrit ça, moi !… C’est ça, moi !» Nicole Fabre explique : «Comme si tout à coup il s’était vu dans un miroir, et que ce lui fût une révélation. Comme si son histoire devenue fable par ma voix et vécue comme un rêve éveillé par son écoute l’avait ouvert à l’expérience spéculaire, lui avait apporté une espèce de certitude d’exister.» Cette «révélation de se découvrir lui-même» montre le pouvoir de la psychothérapie, qui peut se concentrer sur le développement émotionnel.

Nous constatons que Joël évolue, non seulement du point de vue de sa santé émotionnelle, mais aussi de sa capacité à entrer dans un Rêve-Éveillé. A ce stade de la thérapie, la figurine du crocodile devient importante pour lui. Il «a attaché un rêve» à une image de crocodile, ce qui nous montre comment l’imaginaire peut nous transporter bien au delà des objets et des jouets concrets, bien au delà des procédés qui nous aident à résoudre des problèmes, et bien au delà des limites de notre propre histoire :

«Le crocodile, il était venu près de l’eau. Je veux dire, il est dans l’eau le crocodile. Il est dans l’eau… Dans l’eau il aime bien. Il aimait bien, le crocodile, être dans l’eau… il se balade. Il pense à rien… Il est là… ça sait nager les crocodiles?… Lui il se balade comme ça… Il regarde, il regarde… Il voit rien dans l’eau mon crocodile. Mais il est content parce que l’eau c’est chaud et dehors il fait nuit. Alors il avance mon crocodile. Il avance, il avance…Il sait pas bien, il voit pas bien…»

La dernière phase du traitement de Joël a pu être abordée après deux ans de thérapie, et a été introduite par la psychothérapeute. Nicole Fabre a encouragé Joël à faire un pas décisif vers le Rêve-Éveillé authentique. Il s’agit d’une avancée qui l’incite à se détacher des objets concrets, tels que les jouets, au profit des images internes et des concepts. Il a progressé, de son acting-out impulsif vers un processus plus intériorisé, et toujours guidé par les mots de Nicole Fabre et sa voix. Elle peut maintenant dire à Joël : «Aujourd’hui, tu installes tout comme pour faire une histoire. Et après, tu ne touches plus rien. Tu vois dans ta tête, tu sens, tu dis…» Puis elle nous explique : «La frustration du geste contribuant à favoriser le «voir en images» et la nécessité de dire pour me communiquer ce voir, et même ce vivre, Joël passe progressivement au Rêve-Éveillé classique.»

J’aimerais que nous étudions attentivement cette déclaration. Tout d’abord, Nicole Fabre constate que le fait de refréner nos actions nous permet d’examiner nos pensées et nos sentiments en images. Sans cette capacité de refréner nos actes impulsifs, nous ne pouvons prendre le temps de produire des images, au delà des impressions visuelles les plus concrètes et les plus instantanées. Ensuite elle constate que la maîtrise de l’action nous invite à exprimer ce que nous voyons et ressentons (ce que nous vivons). Enfin, elle remarque que les contraintes, les images et la communication ont permis à Joël de progresser vers le Rêve-Éveillé, ce qui a rendu son traitement bien plus agréable.

Joël peut désormais évoquer des thèmes et les développer sans se limiter aux objets concrets. Il se sert de l’imaginaire pour construire des images à partir de choses qui se trouvent dans le bureau de sa thérapeute, et à partir d’événements de sa vie. Il se décrit lui-même d’une façon plus nuancée, à travers ses propres images : «Ça, c’est un jour comme le loup. » (Il se sentait comme le loup avec lequel il jouait, mais sans avoir besoin d’agir comme un loup). Il peut maintenant exprimer ses propres idées et ressentis, et raconter son histoire, tout en régulant ses émotions, et en utilisant les significations qu’il avait acquises. Il dit : «Des fois ça me plairait d’être un bébé… Mais peut-être j’étais pas bien quand j’étais bébé. Peut-être déjà j’avais des ennuis, tu te rappelles, les ennuis ? » Et aussi :«Le crocodile a du bébé et il a du loup.» Par ailleurs, lorsque certains jours il est encore instable, il est capable d’utiliser l’image intériorisée de sa psychothérapeute, et de dire : «Quand je deviens fou-fou, je pense à toi et au loup parce qu’il est un peu fou-fou.» Il n’a plus peur de lui-même et n’effraie plus ses parents. Il est désormais temps pour lui d’arrêter la psychothérapie. Sa progression lui a permis d’utiliser l’imaginaire et d’accéder au rêve éveillé, de ce fait il a réussi à établir ce que Nicole Fabre appelle «sa “vérité historique” infiniment plus précieuse que l’histoire de sa réalité qu’il ne connaissait que trop.»

La création de sa propre vérité historique dans l’imaginaire nous ramène à l’idée de Bachelard que notre faculté de modifier les images et les idées émises par notre perception est tout aussi importante que notre faculté de percevoir la réalité. Il est également important de mentionner l’histoire personnelle de Nicole Fabre, et la signification de l’imaginaire dans sa vie. Vous avez probablement appris que notre devoir est d’offrir à nos patients une meilleure perception de la réalité, afin qu’ils soient plus à même de résoudre les problèmes de leur vie de tous les jours. Ce n’est qu’une partie de notre travail, étant donné que l’imaginaire nous fournit des chemins pour modifier le sens de la réalité, et nous permet de puiser des réponses profondes et positives pour nous-mêmes.

REFERENCES: Fabre, N. (1998). Le Travail de l’Imaginaire en Psychothérapie d’Enfant [English title: The Work of the Imaginary in Child Psychotherapy]. Paris,Dunod.Fabre, N. (1998). Sont-ils heureux loinde nous? [English title: Are they happy far away from us?]. Paris,Fleurus.Thiboutot, C. (2005). Personal Communication.

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